Dans l’attente du train suivant

Avec son violent coup de machette de 50 points de base, la banque centrale américaine (Fed) veut signaler que, cette fois, elle sait anticiper à temps l’évolution des indicateurs d’inflation. Une telle réduction des taux directeurs indique en effet que la hausse des prix s’essouffle, suffisamment en tout cas pour qu’il ne soit plus nécessaire de refroidir l’économie par des politiques restrictives. La Fed abandonne ainsi progressivement ses taux directeurs étouffants et met fin également à ses ventes massives d’obligations qui ne faisaient que maintenir les taux d’intérêt à long terme à un niveau artificiellement élevé.

Mais cette explication est par trop cousue de fil blanc, car la vérité est d’un autre ordre. Pendant des mois, la Fed s’est laissée intoxiquer par des statistiques invraisemblables du ministère américain du travail. Dans une année électorale, la création d’emplois est un argument clé pour l’administration en place désireuse d’afficher la pertinence de sa politique - les chiffres à ce sujet doivent donc être pris avec un gros grain de sel.

Le marché du travail aux États-Unis (et en Europe) est indéniablement solide, mais le vent conjoncturel favorable n’a en rien été alimenté par les politiques du gouvernement. Il est porté en réalité par une évolution démographique dominante qui trouve son origine dans le pic des taux de natalité autour de 1960 et un déclin brutal par la suite. En clair, le marché du travail ne doit sa robustesse actuelle qu’au départ massif à la retraite des baby-boomers et l’offre relativement limitée de nouvelle main-d’œuvre. Cette évolution a d’autres vertus : elle n’est pas de nature à entretenir l’inflation, elle maintient le chômage à un niveau bas et a un impact favorable sur les dépenses de consommation.

La Fed ne l’interprétait pas comme cela, s’effrayant inutilement de créations d’emplois artificiellement gonflées au cours des 12 derniers mois. Toute personne douée de discernement savait cependant ce qu’il en était. D’une part, les statistiques traduisaient un rattrapage, après la destruction dramatique de l’emploi au cours des premiers mois de la pandémie de covid. D’autre part, il s’agissait d’estimations approximatives, qu’un examen plus approfondi permettait de corriger. Même s’il faut reconnaître qu’avec près d’un million d’unités annualisées, cette surestimation parviendra tout de même à trouver sa place dans le « Livre Guinness des records ». Mais en année électorale, on peut s’attendre à tout. Après tout, la vérité n’est plus depuis longtemps un enjeu dans la surenchère d’arguments pour faire changer de camp les électeurs.

Quoi qu’il en soit, les autorités monétaires se sont engagées dans cette impasse les yeux grand ouverts, en maintenant les taux d’intérêt à court et à long terme à un niveau beaucoup trop élevé pendant bien trop longtemps. Reste à connaître l’ampleur des dégâts économiques qui en résultent. Cette funeste erreur d’appréciation nous mènera-t-elle tout droit vers la récession ou l’économie parviendra-t-elle à tenir le coup et à amorcer un atterrissage en douceur ? Nous penchons pour la seconde hypothèse. Pour l’instant, la démographie est suffisamment forte pour éviter un ralentissement de l’emploi et maintenir la croissance économique hors du rouge.

Mais ce scénario positif appelle une confirmation régulière, ce qui interviendra le premier vendredi de chaque mois sur la base des nouvelles statistiques de l’emploi, à partir de la publication du 4 octobre. 

Graphique 1 : Évolution attendue du taux directeur américain

Graphique 1 : Évolution attendue du taux directeur américain

Nous adhérons au consensus : nous prévoyons une légère amélioration des chiffres de l’emploi, après un recul durant les vacances, et nous intégrons même une correction limitée à la hausse des chiffres du mois dernier. Cela devrait suffire à soutenir un atterrissage en douceur. Dans le même temps, ce scénario permet également d’éviter que la Fed n’assène un nouveau coup de canif de 50 points de base à son taux directeur en novembre. Une telle intervention ne serait en tout cas pas souhaitable.

La prochaine réunion de la banque centrale américaine aura lieu juste après l’élection présidentielle, ce qui promet beaucoup d’incertitudes pour les marchés. Et à cela s’ajoutent les derniers chiffres de l’inflation de base qui n’étaient pas très encourageants. Ils continuent en effet à traduire une tendance persistante à l’augmentation des loyers et des coûts de financement. La poursuite de baisses du taux directeur d’un quart de pour cent toutes les six semaines est plus que suffisante à nos yeux et laisse entrevoir une normalisation du taux d’intérêt à court terme à un niveau neutre de (environ) 3,25 % au début du troisième trimestre de 2025.

Jusqu’à récemment, on craignait que la Banque centrale européenne (BCE) ne suive pas certaines baisses de taux d’intérêt de la Fed. Cela a considérablement affaibli le taux de change du dollar américain (par rapport à l’euro). Toutefois, les données les plus récentes sur l’inflation en Allemagne ont évolué mieux que prévu, ce qui permettra à la BCE de réduire également le taux directeur de la zone euro de 0,25 %, lors de ses prochaines réunions.

La perspective d’une baisse progressive des taux d’intérêt et d’une croissance économique soutenue ne peut que nourrir l’optimisme des investisseurs, et donc la poursuite de la hausse des marchés boursiers. Étant donné que ces deux facteurs soutiennent l’ensemble des marchés d’actions, le rally boursier ne se limite plus cette fois à quelques géants de la cote, mais peut désormais se poursuivre de manière beaucoup plus large que les années précédentes. 

Trump ou Harris ?

L’issue difficile à prévoir de l’élection présidentielle américaine présente divers scénarios, dont certains ont des conséquences défavorables pour les marchés financiers.

Le scénario le plus pessimiste est celui d’un résultat électoral incertain pendant une longue période. Mais cela semble peu probable. Le pronostic va au résultat suivant : Kamala Harris obtiendrait le plus grand nombre de voix, mais Donald Trump la devancerait en termes de grands électeurs, dans ce système électoral qui ne place pas toujours en tête le candidat ayant le plus de suffrages. Ce scénario ne semble pouvoir être évité que si les démocrates gagnent l’État de Pennsylvanie, où les deux candidats sont au coude-à-coude. 

Les deux candidats ont présenté leur programme économique la semaine dernière. Il n’y a pas grand-chose à en dire, notamment parce que le débat s’est orienté vers d’autres questions sociales et d’autres points de clivage, qui passionnent davantage les électeurs.

Les milieux d’affaires se méfient de Kamala Harris en raison des opinions de gauche qu’elle a exprimées dans le passé. Mais en tant que présidente, elle ne serait pas en mesure de les traduire en lois, car cela nécessiterait une large majorité à la Chambre des représentants et au Sénat. Et il n’y en aura certainement pas.

Les marchés financiers appréhendent bien davantage les augmentations drastiques des droits de douane à l’importation que Trump brandit avec la hargne qu’on lui connaît. Un argument simpliste qui passe toujours bien auprès des électeurs. Pourtant, tous les économistes savent que de telles guerres tarifaires ne font qu’augmenter l’inflation et déprimer la croissance économique. Si les entreprises américaines ont moins à craindre de la concurrence étrangère, elles en profiteront pour augmenter leurs marges, ce qui alimentera l’inflation. La banque centrale américaine sera alors moins encline à abaisser les taux d’intérêt directeurs, ce qui réduira la croissance économique et, en fin de compte, créera davantage de chômage. Une mauvaise idée, donc.

En outre, les États-Unis ont perdu la précédente guerre tarifaire avec la Chine en 2018 sur tous les fronts. En cas de victoire de Trump, les exportateurs tant asiatiques qu’européens seraient mis en grandes difficultés. En tout cas, dans un premier temps, mais n’oubliez pas alors de profiter de la faiblesse des bourses européennes lorsqu’elles baisseront fortement. En effet, une fois cette première phase terminée, seulement 6 % du chiffre d’affaires des entreprises européennes cotées seront liés aux exportations vers les États-Unis, tandis que les contre-mesures européennes protégeront le marché intérieur de la concurrence américaine, et que les importations en provenance de Chine deviendront également nettement moins chères.

Quelques secousses mises à part, les marchés financiers traverseront également sans trop de mal un nouveau mandat de Trump. Même s’il n’y a pas lieu de se réjouir de cette perspective. 

Graphique 2 : Évolution de quelques bourses mondiales depuis le début de l’année. (Indices return en monnaie locale)

Graphique 2 : Évolution de quelques bourses mondiales depuis le début de l’année. (Indices return en monnaie locale)

Relance chinoise

Mais les principales nouvelles économiques et financières de ces dernières semaines sont incontestablement venues de Chine, où le gouvernement a annoncé des mesures de relance de grande envergure pour sortir l’économie du marasme. Les marchés financiers locaux ont réagi de manière euphorique au soutien promis en enregistrant un rebond phénoménal des cours des actions.

À court terme, ces incitants peuvent effectivement apporter un certain soulagement. Mais à moyen terme, ils ne sont qu’un emplâtre (impressionnant) sur une jambe de bois et le problème ne fera que s’aggraver. Avec la baisse des taux d’intérêt et une nouvelle diminution des restrictions de capital imposées aux banques, emprunter (encore plus) devient moins cher et plus facile, mais cela accroît le problème de l’endettement des entreprises.

Le gouvernement chinois doit réussir à rétablir la confiance des consommateurs et doit donner la priorité au défi démographique sans précédent qui entravera considérablement la marche en avant du géant rouge. Entre-temps, l’âge de la pension a déjà été relevé de trois ans, mais cela ne fait que déplacer le problème du marché du travail chinois un peu plus loin dans le temps.

La seule solution consiste à modifier radicalement la politique industrielle. Au lieu de produire des biens à faible marge, la Chine devrait se tourner vers des produits à plus forte valeur ajoutée, tout en maintenant son niveau de production de masse grâce à l’automatisation. Ce faisant, la Chine pourrait même devenir un pays en pointe dans l’application industrielle de l’IA à l’avenir. Chaque inconvénient a son avantage.