Le soleil se lève à l’ouest
L’ancien président Ronald Reagan considérait les États-Unis comme la Terre promise biblique, et il ne laissait aucun doute sur le fait que cette interprétation devait être prise au sens littéral. Une grande partie de la population américaine partage cette vision. Cependant, pour d’autres, la réalité quotidienne est bien éloignée de cette utopie. Les analyses sociétales mettent en lumière une inégalité croissante, des problèmes sociaux de plus en plus marqués et un fossé grandissant sur des questions éthiques, exacerbant ainsi les tensions politiques.
Sur le plan financier et économique, les États-Unis semblent pourtant incarner ce fameux « pays du lait et du miel ». Pour les heureux élus, du moins.
Toutes les analyses économiques soulignent l’avantage croissant des États-Unis par rapport aux autres régions du monde, qui peinent à rester dans leur sillage. Le Japon et surtout la Chine sont confrontés à des défis démographiques inextricables. L’Europe, quant à elle, tarde à prendre des initiatives concrètes pour rattraper son retard technologique croissant et se plaît à le compenser par une bureaucratie excessive. Seule l’Inde semble disposer des cartes nécessaires, mais elle doit encore parcourir un long chemin semé d’embûches.
Résultat : huit des dix plus grandes marques mondiales sont désormais d’origine américaine (même si leur production est largement délocalisée), et l’avance technologique des États-Unis est devenue si importante qu’un fossé infranchissable se creuse avec le reste du monde.
Les marchés financiers américains offrent une liquidité bien supérieure et ne se limitent pas à accueillir les grandes entreprises : ils soutiennent également un vaste réseau de petites entreprises et de microcaps. En Europe, le marché des petites entreprises est bien moins développé et ne laisse de place qu’aux entreprises affichant un rendement sur fonds propres (ROE) élevé. De plus, les marchés obligataires américains constituent une source de financement accessible et efficace, tandis que les entreprises européennes dépendent davantage des prêts bancaires, ce qui met leur développement à la merci de la politique des établissements financiers qui se voient imposer par des règles durcies une gestion de plus en plus restrictive de leurs risques de crédit. Cette évolution conduit donc à un assèchement rapide du robinet à liquidités, faisant des entreprises les premières victimes de cette politique.
Les opportunités financières offertes aux start-ups aux États-Unis n’ont pas d’équivalent ailleurs et attirent les meilleures idées du monde entier. En 2014, les États-Unis sont également devenus le premier producteur mondial d’énergie (au prix d’un impact écologique considérable), et leur croissance démographique est bien plus saine que l’évolution structurellement déséquilibrée de la population européenne.
Nous pourrions ainsi dérouler le fil de l’Histoire encore pendant une petite heure, mais ce n’est pas nécessaire. Vous avez parfaitement compris le message.
Les marchés financiers n’auraient pas la vista qu’on leur prête s’ils ne traduisaient pas ces dynamiques divergentes par des différences de valorisation significatives entre les marchés d’actions. Une croissance économique structurelle et des bases financières solides conduisent inévitablement à des valorisations boursières plus élevées, avec des ratios cours/bénéfice qui sont en moyenne deux fois plus élevés aux États-Unis qu’en Europe. Les niveaux de valorisation des deux continents tendent à se rapprocher légèrement lorsque l’on prend en compte, sur une période plus longue, non seulement les bénéfices actuels des entreprises, mais aussi leurs bénéfices attendus. Mais cela n’explique qu’une partie de l’écart. C’est surtout le fossé fondamental en termes de croissance attendue, la composition sectorielle des indices boursiers et la valorisation extrême de certaines méga-entreprises américaines qui expliquent le gros de la différence, entraînant des performances boursières très divergentes. Ce phénomène est d’ailleurs relativement récent. De 1926 à 1996, la bourse américaine évoluait à peu près en ligne avec un indice mondial pondéré par le PIB. Mais à partir de 2014, la divergence entre les actions américaines et européennes s’accélère de manière spectaculaire. Cela coïncide avec l’explosion des cours de géants comme Apple, Amazon et Meta.
Graphique : Évolution des indices boursiers américains et européens (zone euro) (rendement net des indices MSCI en €)
Depuis le début de ce millénaire, l’indice boursier américain (MSCI, incluant les dividendes nets et exprimé en euros) a progressé d’environ 430 %, contre seulement 116 % pour son équivalent européen. Cela ne traduit cependant pas une surévaluation, car les résultats des entreprises sous-jacentes ont connu une évolution similaire. Aux États-Unis, les bénéfices moyens des entreprises ont augmenté de 485 %, contre une hausse de 121 % dans la zone euro[1].
L’Europe pourrait toutefois tirer parti d’une faiblesse américaine : l’excès de confiance de ses dirigeants politiques, qui pourrait les amener à se tirer une balle dans le pied. Un exemple frappant est l’annonce de hausses des droits de douane. Ces droits, qui sont déjà une abomination pour les économistes, défient de surcroît toute logique (financière) s’ils devaient être appliqués de manière radicale et arbitraire, comme le laissent entendre les propositions de Trump.
Ce dernier ne cesse d’ailleurs de les justifier en invoquant des motivations fluctuantes. Tantôt, Trump agite ces droits comme une menace si les pays voisins ne renforcent pas leur contrôle des frontières, parfois comme un moyen de négociation pour accéder au marché américain, ou encore comme alternative à des hausses d’impôts nécessaires pour contenir le déficit budgétaire croissant[2].
Ces hausses tarifaires risquent surtout d’alimenter l’inflation. En effet, des droits d’importation plus élevés se traduisent directement par une augmentation des prix à la consommation. Cela pourrait être évité s’il existait suffisamment de produits alternatifs domestiques pour remplacer les importations étrangères visées. Mais le marché du travail américain, déjà sous tension, verrait une expansion de la production intérieure se traduire par des coûts salariaux plus élevés, et donc des prix finaux encore plus hauts. De plus, cela nécessiterait des investissements supplémentaires dans les infrastructures de production américaines[3], qui ne deviendraient rentables qu’à long terme, freinant ainsi la croissance des bénéfices des entreprises. Personne ne se réjouit d’une telle perspective.
Il est probable que l’entourage pro-business de Trump ait conscience de ces enjeux et n’utilise l’arme tarifaire que comme une menace, hormis pour quelques dossiers symboliques. Après tout, pour les républicains, cette rhétorique guerrière avait surtout pour but de remporter l’élection présidentielle. Et cet objectif principal est désormais atteint.
L’agenda attendu de l’administration Trump pourrait donc se résumer ainsi : Fast announcement, slow implementation.
Les exceptions concerneraient les mesures anti-chinoises et des droits de douane agressifs sur certains produits européens, tandis que le Royaume-Uni bénéficierait d’un traitement préférentiel pour ancrer solidement le pays dans le camp américain.
Le Vieux Continent n’a-t-il donc aucun atout pour contrer la domination économique croissante des États-Unis ? Bien sûr que si.
Par exemple, le secteur pharmaceutique européen est au moins aussi développé que son homologue américain.[4] Dans le domaine technologique, des entreprises de pointe comme ASML (et IMEC, non coté en bourse) continuent d’innover, mais le conflit entre la Chine, les États-Unis et (surtout) Taïwan constitue un obstacle majeur à leur croissance. Le secteur européen du luxe brille de mille feux à l’échelle mondiale, mais il souffre actuellement de la déprime des consommateurs chinois.
Malheureusement, au sein de l’Union européenne, on semble surtout motivé par une volonté de réglementer à tout-va et d’infliger des amendes colossales à certaines grandes entreprises américaines, sous prétexte de protéger les consommateurs européens contre les abus de pouvoir de ces géants quasi-monopolistiques. Avec souvent, à la clé, des effets contre-productifs à prévoir.
Les Américains estiment en effet que ces amendes visent surtout à protéger le marché intérieur européen. Ce qui entraînera de leur part des représailles, renforçant encore davantage la position dominante des méga-entreprises américaines.
La décision politique récente la plus marquante émanant du président élu concerne son soutien à certaines cryptomonnaies. Bien qu’il soit encore loin d’être certain qu’une telle monnaie devienne un moyen de paiement officiel, l’objectif politique est clair. Après avoir annoncé le démantèlement partiel de bastions de pouvoir tels que les départements de l’Éducation, de la Santé, de la Justice ou encore la police fédérale, c’est désormais au tour de la banque centrale américaine. Son indépendance peut en effet entraver la politique gouvernementale, notamment par des contre-mesures monétaires de la Fed. Concrètement, on pense au maintien de taux directeurs élevés, alors que l’administration Trump cherche à accélérer la croissance économique.
Toute tentative directe de limiter l’indépendance de la Fed serait cependant trop flagrante et nécessiterait l’approbation du Congrès. Mais, en soutenant une monnaie alternative au dollar américain, le gouvernement pourrait lui imposer par la bande le niveau de taux d’intérêt qu’il souhaite, sapant ainsi de facto la base de pouvoir de la banque centrale. Cela entraînerait cependant une refonte dramatique de l’architecture monétaire mondiale. Comme de nombreux pays utilisent le dollar comme monnaie de réserve, ils en subiraient un coût énorme puisque, dans ce scénario, le dollar se déprécierait sensiblement. Cette seule idée a d’ailleurs déjà provoqué un net recul du cours du billet vert ces derniers jours.
Pendant ce temps, la Fed semble envisager (pour l’heure en tout cas) une dernière réduction de ses taux directeurs, à moins que les prochains chiffres de l’inflation nous surprennent par une légère poussée de fièvre.
Si l’inflation ne devrait baisser que dans quelques mois, le niveau actuel des indicateurs de prix permet encore une réduction des taux d’un quart de point par la Fed lors de sa réunion du 18 décembre.
La probabilité de cette baisse est actuellement estimée à 86 % et a même considérablement augmenté ces derniers jours. Ensuite, la Fed risque cependant d’appuyer sur la touche pause. Le marché craint en effet qu’elle ne reprenne l’assouplissement de sa politique monétaire, avec une nouvelle réduction substantielle de ses taux, qu’en mai ou juin 2025. Trump cherchera sans aucun doute à accélérer ce calendrier pour donner à sa politique un boost monétaire.
L’inflation plus faible et des attentes de croissance économique plus modestes confèrent à la Banque centrale européenne davantage de marge de manœuvre. Elle pourrait ainsi procéder à deux baisses de taux d’un quart de point dans les mois à venir.
L’argument principal en faveur des actions européennes réside dans leur faible valorisation par rapport à leurs homologues américaines. Cela reflète en partie des perspectives d’avenir plus sombres. Les attentes de croissance plus élevées aux États-Unis semblent déjà intégrées dans leurs cours boursiers. En Europe, le potentiel haussier des actions est plus important en cas de surprises positives. Cela ne pourra toutefois se concrétiser qu’après des négociations de paix réussies entre l’Ukraine et la Russie, et un redressement de la croissance industrielle en Europe. Mais gardons-nous de toute précipitation. Il y a loin de la coupe aux lèvres.
[1] Épinglons la brève période de surperformance de la zone euro entre 2006 et 2008, alimentée principalement par l’évolution spéculative des bénéfices du secteur bancaire européen, portée par la mise en œuvre de l’accord de Bâle II. Mais, alors que depuis l’an 2000, les bénéfices des banques américaines ont progressé de 115 %, ceux des banques de la zone euro n’ont augmenté en moyenne que de 25 %, avec de fortes disparités entre les différents États membres. Ce n’est qu’en 2023 que les bénéfices des entreprises européennes ont enfin dépassé leur niveau du début de ce siècle (!).
[2] Ce dernier point est particulièrement problématique sur le plan social, car il tend à uniformiser la taxation des ménages. De telles augmentations des tarifs se traduisent en effet directement par une hausse des prix à la consommation, impactant de manière égale les riches et les pauvres. On peut d’ailleurs se demander si c’est légal. Si le président dispose, certes, de larges prérogatives pour imposer des droits d’importation, ces pouvoirs NE s’appliquent PAS lorsque leur objectif est de réduire le déficit budgétaire.
[3] L’industrie automobile américaine, qui se limite souvent à l’assemblage de pièces importées, pourrait être la principale victime de ces mesures. Mais, par extension, c’est quasiment l’ensemble de l’industrie des biens de consommation qui pourrait en pâtir. L’industrie agroalimentaire, en particulier, serait doublement touchée si les immigrants illégaux étaient massivement expulsés, laissant les cultures de fruits et légumes sans bras pour les récolter.
[4] Mais on le doit surtout, ces dernières années, à une seule entreprise : Novo Nordisk. Cette société, véritable perle dans le tissu économique européen, est cependant confrontée à des problèmes de capacité et à une concurrence américaine de plus en plus forte.
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